Intégration du tourisme durable dans la gestion des zones côtières de Méditerranée

1. Gestion de la fréquentation en Languedoc-Roussillon : résultats d'une approche pluridisciplinaire innovante

Interview de Christelle Audouit, post-doctorante au laboratoire ART-Dev (3027 FRE CNRS, Acteurs-Ressources-Territoires dans le Développement) de l'Université de Paul Valéry à Montpellier et Benjamin Sirot (chargé de projet au Conservatoire des Espaces Naturels du Languedoc-Roussillon, Montpellier).

La Grande-Motte. Crédit photo : M. Gauthier-Clerc/Tour du Valat.

La côte méditerranéenne constitue un pôle d’attractivité touristique majeur, comme en témoigne les 15 millions de personnes ayant visité le Languedoc-Roussillon en 2008. Il s’agit là d’une opportunité économique importante mais qui fragilise des milieux naturels littoraux (lagunes, dunes, etc.) déjà largement fragmentés du fait de l’urbanisation. Dans ce contexte, il est nécessaire de développer un tourisme durable, conciliant activités économiques et respect de l'environnement.

Christelle Audouit affirme que « dans cette région, la détérioration du milieu côtier est principalement due à une fréquentation non maîtrisée, qui entraîne une dégradation qualitative et quantitative des ressources du littoral ». Particulièrement sensibles aux perturbations, les dunes sont dégradées sur de nombreux sites du Languedoc-Roussillon du fait d’un manque de gestion de la fréquentation : élargissement et multiplication des sentiers, piétinement des dunes, pollution, circulation de véhicules motorisés, camping et décharges sauvages, etc. Il s’agit pourtant de milieux naturels caractéristiques abritant une flore et une faune peu communes (Fausse Girouille des sables Pseudorlaya pumila ; Diotis blanc Otanthus maritimus ; Souchet des dunes Cyperus capitatus ; Psammodrome d’Edwards Psammodromus hispanicus ; Pélobate à couteaux Pelobates cultripes ; Gravelot à collier interrompu Charadrius alexandrinus, etc.). En outre, les dunes permettent de limiter l'érosion du littoral. La protection de ces milieux est donc un enjeu majeur pour la région Languedoc-Roussillon.

Dune du Grand Travers. Crédit photo : F. Lecoq/CENLR.

La complexité de ce type de problématique et la diversité des acteurs impliqués ont rendu nécessaire une coopération de différents sites et partenaires autour de thématiques de conservation communes. C’est ainsi qu’a démarré début 2009 un LIFE + LAG'Nature, porté par le Conservatoire des Espaces Naturels du Languedoc-Roussillon (CEN L-R). L'un des objectifs de ce projet est de permettre une meilleure gestion de la fréquentation sur différents sites de la région, « afin de concilier activités humaines et préservation du milieu ». Les ambitions du programme sont doubles : permettre tout d’abord une meilleure compréhension de l'impact de la fréquentation ; puis apporter un outil d'aide à la décision pour les gestionnaires.

Le LIFE+ LAG’NATURE vise à créer «un réseau de sites démonstratifs lagunaires et dunaires sur le littoral Méditerranéen en Languedoc-Roussillon». Ce projet s’appuie sur 5 sites Natura 2000 gérés par 5 syndicats : Rivage (lagune de Salses-Leucate), SMBVA (Basse Vallée de l’Aude), Siel (étangs Palavasiens), SYMBO (étang de l’Or), SMCG (Camargue Gardoise). Il comporte différents volets d’actions :

Projet financé à 50% par l’Union Européenne et par la DIREN LR, la Région LR, l’Agence de l’eau RMC et les Conseils Généraux des Pyrénées-Orientales, de l’Aude, de l’Hérault et du Gard. Durée du projet : 2009-2013.

Pour identifier les impacts de la fréquentation sur la biodiversité, une approche interdisciplinaire est indispensable. Le programme implique donc à la fois des géographes (Université Paul Valéry), des naturalistes (CEN L-R) et des gestionnaires de milieux naturels (les 5 structures citées dans l’encadré). Selon Christelle Audouit, l'originalité de ce travail réside donc dans « une co-construction basée sur une mise en réseau d'acteurs », en croisant une analyse des pratiques (études sociétales) avec une analyse des impacts (études naturalistes).

Fréquentation Grand Travers. Crédit photo : C. Audouit/ART DEV.

Benjamin Sirot, botaniste au CEN L-R explique que « la méthode consiste à réaliser dans un premier temps des comptages du nombre de passage et des enquêtes auprès des usagers afin de comprendre leurs perceptions, représentations et motivations. Dans un second temps, des expertises naturalistes sont effectuées. C’est le croisement des deux types de données qui permettra de déterminer les impacts de la fréquentation sur la biodiversité ». Le suivi des habitats et des espèces est réalisé en utilisant différentes méthodes : relevés exhaustifs de végétation, cartographies des sentiers et de l’état de conservation des milieux, recherche de cortèges de coléoptères et orthoptères des dunes, etc.).

Etat du massif dunaire du Grand Travers 3 semaines après le dernier nettoyage de la saison estivale 2009. Crédit photo : SMGEO.

Les premiers résultats concernent le site du Grand Travers dans l'Hérault. Le programme se focalise sur la partie arrière dunaire (dunes grises et prés salés) qui constitue un lieu de rencontre. Le site est très fréquenté : de juin à août 2009, 145 personnes par jour arrivent en moyenne sur les 30 hectares de la zone étudiée ; la fréquentation nocturne n’étant pas encore évaluée mais apparaissant non négligeable.

Même s’il est diffus, le piétinement est un facteur de dégradation du milieu assez important : mise à nus de végétaux, destruction d’espèces peu communes, tassement de certaines dunes. Cela amène Benjamin Sirot à conclure que « certaines parties de ce site se trouvent dans un mauvais état de conservation».

Afin de réduire les impacts des usages sur ce site, la mise en place d'un groupe de travail « Fréquentation Grand Travers » devrait permettre de formuler des propositions techniques au Syndicat Mixte du Bassin de l'Or. Ces propositions seront rassemblées sous la forme d’un plan de gestion de la fréquentation du site, basé sur la concertation entre les différents acteurs et sur les résultats de l’étude.


2. Aménagement durable d’un territoire hautement touristique : un avenir pour la lagune de Venise ?

Venise est la plus grande lagune de la côte méditerranéenne. Plus d'un million d'habitants occupent le pourtour de cette lagune, une menace pour cet environnement fragile. Elena Gissi est urbaniste à Venise. Sensible à l'environnement, elle considère qu'aujourd'hui cette dimension a toute sa place dans l'aménagement du territoire. Elle nous présente ici sa vision de la situation à Venise.

Quelles menaces pèsent sur la lagune de Venise ?

Vue générale de la ville de Venise, Vénétie, Italie. http://www.yannarthusbertrand2.org/

La démographie et les structures associées (transport, habitats, etc.) exercent une réelle pression sur la lagune mais ce n'est pas le seul facteur à Venise. De nombreuses industries lourdes, notamment pétrochimiques, ainsi que les ports commerciaux associés sont présents sur et autour de la lagune, générant des pollutions notables au sein même de l'écosystème. Toutes ces activités sont en plein développement et les projets d'extension des villes côtières, réparties en différents patchs autour de la lagune, font craindre une importante urbanisation de la zone. L'île de Venise, située au cœur de la lagune, est évidemment un site très touristique (environ 10 millions de touristes par an), ce qui pose un problème de sur-fréquentation à prendre en compte.

La lagune de Venise est donc soumise à un fort impact anthropique, qui risque à terme de dégrader définitivement le milieu. Il est essentiel de repenser la géographie de la lagune pour mieux la protéger.

Comment intégrer ces menaces dans un plan d'aménagement plus respectueux de l'environnement ?

La lagune de Venise, Vénétie, Italie.
http://www.yannarthusbertrand2.org/

Avec mon équipe, nous avons élaboré différents scénarios d'évolution de la lagune de Venise pour les années à venir. Nous considérons qu’il faut à tout prix éviter une urbanisation massive de la côte, car cela entrainerait une fragmentation des espaces naturels et donc une perte de la fonctionnalité de l'ensemble de l'écosystème lagunaire. La protection de certaines parties associées à un développement incontrôlé autour d'elles, comme c'est le cas actuellement, est une politique de gestion inefficace. Pour plus de cohérence, il faudrait développer une mise en réseau des zones protégées, afin d'aboutir à une gestion intégrée de la lagune. Il est bien sûr nécessaire de maintenir le caractère touristique du site, mais en gérant davantage la fréquentation tout en développant un tourisme durable, plus respectueux de l'environnement. Une des solutions que nous proposons consiste à repenser le transport touristique. La réhabilitation d’une ancienne voie d’eau romaine permettrait à la fois de promouvoir un atout touristique patrimonial incontestable (fortifications et phares) et de développer une nouvelle politique de transport touristique.

Toutes ces mesures concernant une grande diversité d'acteurs (politiques, agriculteurs, communautés, écologistes, etc.), une concertation de l'ensemble des participants semble nécessaire pour élaborer un plan global. Pour le moment, cela semble difficile à mettre en place en Italie, car les politiques d’aménagement actuelles sont restreintes à une échelle très locale, ne prenant pas tellement compte de la place d'un projet dans la gestion globale de la lagune de Venise.

Conflit entre enjeux économiques et environnementales ?

L'un des conflits majeurs est la contradiction qu'il existe entre les lois européennes et italiennes. Les lois régionales italiennes considèrent que la qualité d'une lagune se mesure principalement à la qualité de son eau, alors que les lois européennes préconisent une prise en compte globale de l'écosystème. Cette dernière approche, plus durable, nécessite une mise en réseaux des acteurs territoriaux et est donc plus contraignante à mettre en place. Les enjeux économiques sont par ailleurs énormes, dans ce contexte la prise en compte de l'environnement ne passe malheureusement pas au premier plan.

On peut tout de même imaginer qu'avec le réchauffement climatique, l’élévation du niveau des mers et donc le risque de submersion associé va surement influencer les décisions dans les années à venir. Venise étant particulièrement concernée par cette problématique, on peut parier que l'industrie du tourisme va écouter plus attentivement les conseils des écologistes. Mais peut-être sera-t-il déjà trop tard...

Articles d’Amélie Bugel et Cédric Lemarchand, étudiants en Master BGAE, Université des Sciences de Montpellier II.