La Lagune de Bages Sigean : un bel exemple de coopération entre gestionnaires et chercheurs

Interview d’Annie Fiandrino (chercheuse à la station Ifremer de Sète, Laboratoire Environnement Ressources en Languedoc-Roussillon) et de Karine Dusserre (Chargée de mission Eau et milieux lagunaires - pêche au PNR de la Narbonnaise).

Depuis la création du Parc Naturel Régional de la Narbonnaise à la fin des années 90, un suivi de la lagune de Bages-Sigean, la plus importante du Parc, s’est mis en place dans le cadre du Réseau de Suivi Lagunaire (RSL). Ce réseau porté par l’IFREMER a permis au PNR de lutter contre l’eutrophisation de la lagune de Bages-Sigean et d’améliorer la qualité des eaux au travers des années. Quelles sont les clés de leur réussite ?

Vue sur l’île de l’Aute dans l’étang de Bages-Sigean. Crédit photo : Pôle Relais Lagunes Méditerranéennes.

La lagune de Bages Sigean est la plus grande lagune du Narbonnais et la troisième du Languedoc Roussillon. Elle mesure 19 km de long sur 3 km de large et possède la spécificité d’être en 3 bassins séparés par 2 îles. Elle est principalement exploitée pour la pêche artisanale.

L’eutrophisation, qui entraine la modification d'un milieu aquatique, lié en général à un apport exagéré de substances nutritives, commençait à se faire trop importante. Le PNR de la Narbonnaise et l’IFREMER ont décidé de l’étudier et de réaliser son suivi. Dès le début des années 2000, les premières quantifications de cette pollution sont apparues. Les scientifiques de l’IFREMER, grâce à la collaboration des gestionnaires du PNR, se sont aperçus qu’il existait un fort gradient d’eutrophisation : la région de la lagune la plus éloignée de la mer (au nord) est celle dont l’eau est de moins bonne qualité car cette partie de l’étang manque de renouvellement de l’eau.

Le contrôle de cette contamination s’est avéré primordial pour tendre vers une meilleure qualité du milieu. En effet, l’eutrophisation perturbe énormément le milieu lagunaire en générant une diminution de la biodiversité (animale et végétale) et du rendement de la pêche. Par exemple, la biomasse d'algues vertes opportunistes telles que les ulves et le fort développement du zooplancton gélatineux peuvent prendre des proportions anormales comparés à d’autres communautés végétales et animales de la lagune. Suite à ces résultats, les gestionnaires du PNR ont décidé de mettre en place une gestion intégrée en incluant entre autres des acteurs scientifiques tels que l’IFREMER (au travers du RSL) et des décideurs représentés par une vingtaine de communes du bassin versant. Tous ont signé un contrat sur 10 ans où ils s’engagent à rétablir un niveau « moyen » d’eutrophisation pour la zone nord et bon pour la zone sud, moins sujette à l’eutrophisation. Comme exemple des plus éloquents, les élus des communes se sont engagés à mettre aux normes les stations d’épuration de la région, principaux émetteurs de phosphore et d’azote. D’autre part, les zones d’échanges mer/étang ont été rouvertes afin de lutter contre le confinement de la lagune, assurer un meilleur renouvellement des eaux dans l’ensemble de la lagune. Un autre défi a été relevé telle qu’une gestion des risques de contamination ponctuelle par certaines industries. Le renforcement des contrôles aide les gestionnaires à gérer les accidents ponctuels de pollution : « nous demandons à fermer le canal juste après un éventuel accident industriel ce qui restreint la contamination à une zone précise» souligne Karine Dusserre, gestionnaire du PNR.

En 2008, les objectifs du contrat ont été atteints : « La zone nord a atteint un niveau moyen stabilisé. Les apports en azote et en phosphate ont été diminués par 5 ce qui est un niveau satisfaisant pour la zone nord. Les zones sud et médiane ont retrouvé leur qualité du début, c'est-à-dire bonne », précise Annie Fiandrino, chercheur à l’IFREMER. Les chercheurs impliqués dans le RSL restituent aux structures locales et au grand public leurs résultats afin de les impliquer et de les tenir informés des avancés du projet. Ce moment d’apprentissage, d’échanges et de discussion entre les différents acteurs stimule les efforts qu’ils déploient pour reconquérir une qualité d’étang qui soit plus satisfaisante pour tous. Cette phase est également importante pour les chercheurs puisqu’elle leur permet de connaitre le point de vue des acteurs locaux et d’avoir un retour sur les conseils que peut apporter leur recherche à la bonne gestion d’un territoire.

N’oublions pas que la réussite d’un tel projet tient au fait que gestionnaires et scientifiques se connaissent depuis longtemps au travers de leur travaux sur la lagune. Un atout majeur de ce suivi est l’implication du parc depuis plus de 10 ans dans des travaux scientifiques du RSL. Lors de la mise en place du RSL, la collaboration a été facile car « les chercheurs étaient à notre écoute » souligne Karine Dusserre. Les protocoles ont été élaborés par les scientifiques. Les gestionnaires participent aux campagnes de prélèvements, organisent les restitutions locales et font remonter les demandes locales d’amélioration de la connaissance. Ceci facilite l’appropriation des résultats du réseau.

Cette réussite revient en très grande majorité à l’investissement de toutes les parties prenantes et à la communication entre gestionnaires et chercheurs sans oublier l’interaction avec les acteurs locaux. Un très gros travail a été fait auprès des communes afin de les sensibiliser au problème de la lagune notamment en les faisant participer activement sur le terrain, en réalisant des séances de concertation afin de trouver des solutions unanimes… La collaboration se fait au quotidien. « Les gestionnaires se connaissent tous […] la stabilité du PNR, celle de l’organisme scientifique (IFREMER) et la stabilité financière de la Région sont les 3 piliers de la réussite de ce projet sur le long terme » affirme Karine Dusserre. « Une des leçons à retenir est que la présence régulière du gestionnaire sur le terrain est nécessaire pour que les choses avancent, ainsi que l'effort de restitution des connaissances auprès des acteurs locaux par les scientifiques » confirme-t-elle.

Cependant, « la même efficacité d'action n'a pas pu être obtenue sur tous les étangs du Narbonnais, en particulier sur l'étang de Campignol qui est très dégradé vis-à-vis de l'eutrophisation. Pour des raisons politiques, le PNR n'a pas pu s'investir sur la gestion et le suivi de cet étang» déclare Karine Dusserre. « La lutte contre les pollutions toxiques est aussi un volet d'action plus difficile à mettre en place […]. D’ailleurs, obtenir des données aussi intéressantes sur la qualité des eaux vis-à-vis des contaminants chimiques est beaucoup plus coûteux et plus compliqué » ajoute Karine Dusserre.

Pour les années à venir, les gestionnaires et chercheurs souhaitent développer de nouvelles formes de coopération et garder la mobilisation des personnes cibles comme les pêcheurs, les habitants locaux, les industriels… Ils veulent également utiliser l’expérience acquise en termes de sensibilisation sur d’autres thématiques comme la contamination des eaux ou sur d’autres problèmes de gestion du PNR en lien avec la population locale et/ou touristique. Pourquoi ne pas faire appel à un sociologue, dans un futur proche, pour les aider à trouver de nouvelles formes de communication auprès des acteurs locaux ? En effet, après dix années de discours auprès des différents acteurs, les gestionnaires souhaitent se renouveler et redynamiser leurs actions de peur que les acteurs locaux ne se lassent et ne « s’endorment sur leurs lauriers ». Le PNR et l’IFREMER pourraient s’appuyer sur des sociologues pour apporter un renouveau dans le discours transmis et donner un second souffle à la lagune.

Article de Carole Sainglas, étudiante en Master BGAE, Université des Sciences de Montpellier II.