Interview de Clothilde Guyot et Thibault Rodriguez (chargés de mission au Comité Régional des Pêches Maritimes et des Élevages Marins (CRPMEM) du Languedoc-Roussillon, Sète).
La pêche est un secteur important tant sur les plans économique, social et environnemental. En effet, en 2008, 7 400 navires français étaient affectés aux activités de pêche, dont 718 en Languedoc-Roussillon correspondant à 1 989 pêcheurs. En mer Méditerranée, les pêches sont encadrées par la Politique Commune des Pêches Méditerranée (PCP Méditerranée) adoptée le 21 décembre 2006, la réglementation nationale, les mesures de gestion et recommandations des organisations régionales telles que les Affaires Maritimes, les Comités des Pêches ou les Prud'homies.
Dans le contexte actuel, il est plus que nécessaire d’assurer le maintien d'une bonne gestion des ressources marines, garante d'un développement durable de la pêche. Comment ces professionnels agissent ils pour la protection des lagunes en particulier ?Quel est le but d'une structure telle que le CRPMEM L-R ?
Le rôle des Comités Régionaux des Pêches Maritimes et des Élevages Marins est de représenter et promouvoir les intérêts généraux de la pêche, d'anticiper les évolutions règlementaires (depuis l’échelle internationale et européenne, jusqu’à l’échelle locale), de participer à l’amélioration des conditions de production et d'assurer une gestion équilibrée des ressources marines en vue d’un développement durable. Parallèlement à cela, le CRPMEM contribue aussi à la mise en place de projets scientifiques et techniques, et au suivi de nombreux dossiers dans le cadre de forts partenariats. Ses missions sont aussi étroitement liées et articulées avec celles des Organisations de Producteurs ou encore des Prud'homies de patrons-pêcheurs (cf. Rôle des prud’homies).
Rôle des prud’homies
Sont membres des communautés de prud’hommes les patrons pêcheurs titulaires d’un rôle d’équipage qui ont exercé leur profession pendant un an dans la circonscription de la prud’homie à laquelle ils demandent à appartenir (décret du 19 novembre 1859). Une prud’homie est chargée de régler entre les pêcheurs la jouissance de la mer, de déterminer les postes affectés à chaque métier, d’établir l’ordre selon lequel les pêcheurs devront caler leurs filets de jour comme de nuit, de fixer les heures de roulement entre certaines pêches, et de prendre toutes les mesures d’ordre et de précaution (arrêté du 21 février 1962 sur la nature et l’étendue des pouvoirs des prud’homies). Cependant, une prud’homie n’est pas habilitée à réglementer l’exercice de la pêche maritime. Les règlements prud’homaux ne peuvent comporter que des prescriptions destinées à assurer, par tous les pêcheurs, l’application des règlements généraux. En revanche, leur rôle en termes d’encadrement des activités est incontestable.
Au sein de l'ensemble des modalités de gestion de la pêche existantes, le CRPMEM L-R a deux principaux outils afin d’assurer la gestion durable des ressources :
Crédit photo : CENL-R
Mise en place du plan de gestion anguille
Crédit photo : A. Crivelli/tour du Valat
En 2007, la commission européenne a demandé à chaque État membre d’élaborer un plan de gestion avant la fin de l’année 2008 visant à la reconstitution des stocks d’anguilles. Suivant l’orientation de rédiger ces plans de gestion par bassin-versant, le CRPMEM L-R et les représentants professionnels locaux ont donc participé à la définition du plan de gestion pour cette espèce (règlement CE n°1100/2007 du 18 sept 2007), tout en cherchant à faire prendre en compte à l'échelle supra-régionale les spécificités méditerranéennes et les bonnes pratiques et mesures de gestion déjà en place localement.
La récente licence de pêche à l’anguille (délibération en vigueur n°014-2009 du conseil du CRPMEM L-R) est notamment issue d'une volonté des professionnels d'anticiper la mise en place du plan de gestion sur l'espèce demandée par l'Europe en 2007. Cette licence a été instituée en 2008 dans le respect des réglementations prud’homales en vigueur.
Pour l’obtenir, des conditions tenant au navire (permis de navigation, navire hors tout inférieur à 9m), au patron/armateur pêcheur (ex. : être adhérent à une prud’homie, avoir été embarqué au moins 9 mois au cours des 12 derniers mois, être actif au fichier flotte communautaire), à l’activité (respecter les règlements prud’homaux, transmettre ses déclarations de capture) doivent être vérifiées. La demande de licence doit être faite chaque année.
Suite à l’évaluation des dossiers et sur avis de la Commission anguille, l’attribution de cette licence et des timbres (un timbre pour la pêche de l’anguille jaune et/ou un pour celle de l’anguille argentée), est décidée par le Conseil du CRPMEM. Cette attribution vaut engagement, de la part de son bénéficiaire, de respecter la réglementation des pêches maritimes, notamment celle concernant les engins et périodes de pêche. Pour l’année 2010, le nombre maximum de licences est fixé à 350.
Les principaux partenaires techniques et/ou financiers du CRPMEM Languedoc-Roussillon sont les services de l'État en charge des affaires maritimes, la région Languedoc-Roussillon et les départements, les collectivités, le Cépralmar et les scientifiques (Ifremer, Universités, Stations biologiques, etc.). La plupart des projets et missions du CRPMEM L-R sont donc portés en étroite collaboration avec ces instances et bien entendu avec les Comités locaux des pêches, les Organisations de producteurs, les Prud’homies et certains professionnels à titre individuel.
De plus, de nouveaux partenariats sont en train d’être construits en raison des nouvelles thématiques sur lesquelles le CRPMEM doit être désormais présent : l’Agence des Aires Marines Protégées et la DREAL L-R (notamment dans le cadre du projet « Pêche, Natura 2000 et AMP »), les syndicats mixtes de gestion, les Bureaux d'Etudes, l'association pour le développement du pescatourisme, les acteurs environnementaux (ex. CPIE Bassin de Thau), etc. Cette liste, loin d'être exhaustive, permet alors de simplement appréhender la nature et la variété des projets sur lesquels les organisations professionnelles sont de plus en plus amenées à travailler.
La collaboration n’est pas toujours aisée entre les scientifiques et les pêcheurs. Le manque de réussite est dû aux problèmes de communication. Chaque profession a son propre langage et il n’est pas toujours évident de faire passer les messages. Les scientifiques doivent donc faire un effort en sortant de l'image qui leur est souvent adossée, en adaptant leur discours. Un autre problème est celui de la mobilité et en cherchant à restituer les résultats obtenus, notamment en collaboration avec certains pêcheurs. Il serait nécessaire que les scientifiques accompagnent davantage les pêcheurs sur le terrain afin qu’ils leur montrent le réel intérêt qu’ils portent à leurs activités. Enfin, il n’est pas toujours facile que les pêcheurs et les scientifiques se rencontrent car leurs disponibilités sont différentes du fait de leurs horaires de travail parfois opposées. Un dernier élément concerne les projets. Pour qu’un projet soit accepté par les professionnels de la pêche, les scientifiques se doivent de leur présenter un projet très concret, toujours avec le souci d’un discours adapté, qui mette en avant les conséquences qu’il aurait sur la pratique de la pêche. Ce projet doit être ensuite construit de manière conjointe. Un projet ne répondant pas à une demande ou n’étant pas élaboré en collaboration étroite avec les professionnels ne se verra pas soutenu ni porté par ces derniers.
Les restitutions sont très importantes dans le cadre de la collaboration professionnels/scientifiques. L’exemple de la campagne PELMED est probant. Les professionnels veulent comprendre les fluctuations des espèces et les explications qui en découlent. Le travail d’Ifremer n’est pas remis en doute lors de ces réunions de restitution, au contraire parfois certaines recommandations sont issues d’un constat construit ex nihilo. Nous ne pouvons que regretter, néanmoins, que ces restitutions soient rares. Nous n’avons que peu de visibilité sur les études menées par les scientifiques.
Crédit photo : N. Barré
Il n'est pas opportun de parler d’impact des professionnels dans le maintien à long terme des lagunes, mais plutôt de contribution positive de ces derniers à ce maintien pour différentes raisons :
Enfin, ils sont également moteurs de projets pilotes sur les espaces sur lesquels ils travaillent ; il apparaît donc essentiel de s’appuyer sur cette expérience et sur ces relais à l’échelle locale pour mettre en œuvre les conditions d’un maintien à long terme de ces lagunes et de toutes les activités qui en dépendent.
Etang de Salses-Leucate. Crédit photo : SMNLR/RIVAGE
Au-delà de toutes les actions portées par le CRPMEM L-R et par la mise en place du projet « Pêche, Natura 2000 et Aires Marines Protégées », il est apparu essentiel pour la profession de s’investir plus en avant dans les démarches Natura 2000 et AMP (Aires Marines Protégées) de façon à pouvoir les suivre avec précision mais aussi contribuer à leur mise en place et leur cadrage. Ceci est d’autant plus vrai que les désignations de sites Natura 2000 en mer et la mise en place de leur Documents d’Objectifs s’effectuent à l'heure actuelle, et ce, avec de brèves échéances. Ce projet se caractérise donc par une information et une sensibilisation des professionnels de tout le Languedoc-Roussillon sur ces aspects, par un appui et une implication de la pêche, et par un travail important sur le cadrage de la démarche tant au niveau local, régional que national (notamment sur les modalités de contractualisation, d’évaluation des incidences, etc., mais aussi sur les objectifs visés à terme par la démarche, tout ceci étant source de craintes pour la profession).
Une des principales attentes des pêcheurs à ce niveau est que cette démarche ne remette pas en cause leur présence, qu’elle réaffirme leur important rôle de gestionnaires des espaces lagunaires, côtiers et maritimes, et qu’elle permette, au-delà des actions strictement environnementales, de mener des projets de territoire plus positifs et plus globaux.
Concernant les moyens mis en place, le projet du CRPMEM L-R dispose d'un financement de 18 mois assuré par la DREAL Languedoc-Rousillon et la Région Languedoc-Roussillon (Service Biodiversité) ; il a donc été possible dans ce contexte, de développer des actions visant à informer la profession et communiquer autour des différentes démarches environnementales, et de travailler sur les modalités d’une potentielle implication de la pêche.
Ainsi, le CRPMEM L-R a pu contribuer au cadrage national de Natura 2000 ainsi qu’aux réflexions portant sur les mesures de gestion, les financements, la contractualisation ou encore l’évaluation d’incidence, mais aussi a œuvré pour apporter un appui aux professionnels dans le cadre des réflexions visant à l'élaboration des diagnostics et des DOCOB à l'échelle locale. Ce projet a donc permis au CRPMEM L-R de devenir un acteur reconnu dans la réflexion sur la mise en place de Natura 2000 en mer et des Aires Marines Protégées, et de se doter des compétences nécessaires pour pouvoir tenir cette place.
Malgré ces travaux et cette prise de conscience, il apparaît essentiel de pérenniser cette implication. Néanmoins, un manque crucial de moyens humains, techniques et financiers au sein des organisations professionnelles pour suivre la multitude de ces démarches de gestion, d’aménagement ou de protection, dont Natura 2000 fait partie, est fréquemment rappelé (c’est une des conclusions des Assises de la Pêche du Languedoc-Roussillon menées les 11 et 12 décembre 2009 à Sète).
C'est donc dans une perspective où des solutions techniques, financières et humaines seront apportées, qu'une implication adéquate de la pêche pourra être assurée sur l'ensemble de ces dossiers, et notamment pour un suivi et une importante contribution au sein des groupes de travail et des Comités de Pilotage Natura 2000, voire même pour un positionnement comme opérateurs de certains sites.
Article de Gwenaelle Delaruelle et Matthieu Beauchard, étudiants en Master BGAE, Université des Sciences de Montpellier II.