Interview d’Alberto Basset, chercheur au Département des Sciences Biologiques, Environnementales et Techniques (DiSTeBA) de l’Université de Salento en Italie.
Ce programme majeur vise, à l’échelle du bassin méditerranéen, à mettre à disposition des décideurs et gestionnaires une base de données lagunaires permettant d’optimiser la gestion des écosystèmes côtiers dans la perspective du changement climatique.
Selon le 4ème rapport d’évaluation du Groupe d'experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) les écosystèmes méditerranéens seraient des plus vulnérables aux effets du réchauffement global. Parmi eux les lagunes côtières, exploitées par l’homme depuis des siècles pour les services naturels et économiques qu’elles rendent, sont grandement menacées. Elles constituent un sujet intéressant d’étude des impacts liés au changement climatique de part leur grande variabilité, leur forte sensibilité aux modifications des conditions environnementales, ainsi que leur répartition très importante sur le pourtour du bassin méditerranéen. Dans ce contexte une des composantes du projet Climate Impact Research Coordination for a Larger Europe Mediterranean group (CIRCLE MED– CLIMBIOMEDNET), étudie l’influence du changement climatique sur la biodiversité, les biens et les services des lagunes méditerranéennes (cf. Le projet CLIMBIOMEDNET).
Le projet CLIMBIOMEDNET
Financé en intégralité par le Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de la Mer (MEEDDM), est l’un des 8 projets lancés en octobre 2007 s’inscrivant dans le cadre du programme de recherche Européen CIRCLE MED. Ce dernier dispose d’un budget total de 1,65 million d’euros sur la période initiale s’étalant sur deux ans. Le financement du projet CLIMBIOMEDNET est donc pour le moment assuré par l’Etat, jusqu’en mars 2011. Ce projet est dirigé par le Laboratoire “Écosystèmes lagunaires”, UMR 5119 CNRS IFREMER UM2 IRD, de l’Université des Sciences de Montpellier. Les travaux de recherche s’effectuent en partenariat avec de nombreuses universités dont l’Université des Sciences et Techniques de Salento en Italie, l’Université de Biologie de Vigo en Espagne, l’Institut National Agronomique de Tunisie ainsi que la faculté de Sciences Naturelles de Tirana en Albanie.
Il met à disposition des gestionnaires la base de données publique relative aux lagunes la plus complète, et initie la création d’une plateforme d’information sur les eaux de transition méditerranéennes dans le but d’améliorer, dans l’avenir, la gestion de ces zones de fort intérêt économique et écologique. Cette plateforme permet ainsi de centraliser l’ensemble des données géographiques (cf. Figure 2) (positionnement, nomenclature), physiques (température, salinité, densité optique, etc.), biologiques (présence/abondance/traits fonctionnels et morphologiques des espèces, processus mis en jeu au sein de l’écosystème), hydrologiques et démographiques relatives à la colonne d’eau, au sédiment, ceci à l’échelle du bassin versant (cf. Base de données sur les eaux de transition méditerranéennes).
Base de données sur les eaux de transition méditerranéennes.
L’ensemble des données recueillies sur la plateforme d’information des eaux de transition méditerranéennes. Les points rouges qui figurent sur la carte ci contre (Figure 1) représentent la répartition des lagunes répertoriées dans le cadre du projet CLIMBIOMEDNET. A terme elles possèderont toutes l’ensemble des informations physiques, chimiques et biologiques concernant leur propre colonne d’eau, leur sédiment et leur bassin versant présentées en partie ci contre pour la lagune de Limini Grande (LAGHI LIMINI) en Italie.
Figure 1 : représentation de la répartition des lagunes répertoriées dans le cadre du projet CLIMBIOMEDNET.
Figure 2 : Exemple d’informations présentées par la base de données lagunaires CLIMBIOMEDNET
Elles proviennent exclusivement d’études scientifiques menées sur l’ensemble des 632 lagunes partenaires du projet, dont 59 sont situées en France. Toutefois dans l’état actuel des choses, seules sept lagunes sont renseignées de manière détaillée et l’actualisation de cette base de données se fera progressivement. Des données complémentaires issues de programmes d’observation tels que LIFEWATCH pourront également, après vérification du protocole expérimental par le cercle scientifique encadrant le projet, être assimilées à la base de données en ligne. D’après Alberto Basset, chercheur au Département des Sciences Biologiques, Environnementales et Techniques (DiSTeBA) de l’Université de Salento en Italie, « ce dispositif permet de par son étendue géographique d’anticiper les modifications des caractéristiques physicochimiques et biologiques de ces milieux à différentes échelles spatiotemporelles ». Il offre ainsi aux gestionnaires la possibilité, grâce à la diversité des conditions environnementales représentées, d’envisager les conséquences des différents scénarios climatiques proposés par le GIEC aussi bien en termes de modification de la biodiversité que des paramètres physico-chimiques de la colonne d’eau et des sédiments. L’étude de la variation de ces paramètres pourra, par exemple dans le domaine de la conchyliculture, permettre d’anticiper l’évolution des températures, des apports en sels nutritifs et ainsi d’adapter les rendements de production.
Etang de Salses-Leucate : Crédit SMNLR/RIVAGE
De plus il est maintenant courant d’étudier les effets de l’augmentation de la température sur un écosystème donné en se plaçant dans une zone qui reflète actuellement les conditions envisagées dans le futur. Généralement ces approches sont facilement réalisables lorsque l’on étudie des zones situées au Nord du bassin (Italie, France) sujettes à un réchauffement qui portera les températures à un niveau équivalent à celui rencontré actuellement plus au Sud (Egypte, Tunisie). Parallèlement l’étude des réactions d’adaptation des ressources halieutiques aux modifications des conditions environnementales est d’autant plus nécessaire que les activités menées par les professionnels de la mer en dépendent de manière directe. Ces dernières se traduisent généralement soit par une modification de la phénologie des organismes (décalage de la période de reproduction par exemple) soit par une modification de l’aire de répartition biogéographique des espèces. Si on donne la possibilité aux professionnels, grâce au travail effectué sur la plateforme d’information des eaux de transition méditerranéennes, d’anticiper les réactions d’adaptation des ressources qu’ils exploitent, ils pourront alors adapter leur activité et éviter que l’intégralité du cadre socio-économique se trouve directement affectée. De plus, d’après A. Basset « l’étude des réactions d’adaptation des espèces aux modifications climatiques revêt également d’autres intérêts, comme aider à comprendre des mécanismes à l’origine de scénarii encore non envisagés à ce jour par les membres du GIEC ».
D’autre part les prévisions effectuées à l’échelle globale ne peuvent être appliquées à des zones d’étendue si réduite et qui d’autant plus influencent fortement le climat local. Tout l’intérêt du programme CLIMBIOMED repose donc sur l’étendue de la zone étudiée, la variabilité des conditions environnementales rencontrées et l’intérêt de chacun de mettre à disposition de la communauté ses données.
Dans cette optique A. Basset considère également que ce projet permettra de « souligner les points communs, afin de faciliter la mise en place de programmes d’aménagement adaptés, mais aussi et surtout les différences propres à chaque lagune et qui nécessitent donc un traitement particulier».
Il reconnait toutefois que « de nombreuses données sont issues d’une station unique et ne peuvent donc pas représenter de manière fidèle l’ensemble des conditions existantes au sein de la lagune concernée ». La seule possibilité d’étendre le réseau d’information et de poursuivre le programme au delà de 2011 est donc d’encourager les investissements afin de proposer la base de données la plus complète et exploitable possible.
Ce programme est donc un atout de taille mis à la disposition des gestionnaires, dans une perspective de développement durable, mais il devra à l’avenir être valorisé par des investissements extérieurs en retour de son utilisation afin de poursuivre son amélioration.
Article de Julien Leblond, Master BGAE, étudiant en Université des Sciences de Montpellier II.