Suivi de polluants : de nouvelles technologies adaptées aux milieux aquatiques

1. Les biocapteurs : un dispositif de détection des polluants en continu

Interview de Claude Durrieu, enseignant-chercheur au Laboratoire des Sciences de l’Environnement (LSE) à l’Ecole Nationale des Travaux Publics de l’Etat (ENTPE) de l’Université de Lyon.

Les biocapteurs sont constitués d’éléments biologiques (bactéries, algues…) appelés biorécepteurs immobilisés au contact d’un système physique (ou transducteur) permettant la détection de signaux biologiques émis par le biorécepteur. Le transducteur est lui-même relié à un système électronique permettant d’amplifier le signal transmis et de le stocker ; c’est l’ensemble de cette chaîne qui constitue le biocapteur.

Quel est le principe de fonctionnement des biocapteurs à cellules algales ?

Tout d’abord, il faut rappeler que les biocapteurs à cellules algales n’en sont encore qu’au stade expérimental. Les cellules algales sont, dans le cas présent, immobilisées sur une électrode conductimétrique jouant le rôle de transducteur et permettant de mesurer l’activité de toutes les enzymes appartenant à la classe des estérases qui sont localisées sur la membrane externe des cellules.

L’activité estérase a été sélectionnée dans la conception de ce capteur pour sa grande sensibilité aux pesticides. En effet, cette classe d’enzyme est inhibée de manière relativement sélective par les pesticides.

FDA : fluoresceine diacetate. L’activité estérase de l’algue agit sur le FDA et produit de la fluorescéine. Celle-ci émet des photons qui sont quantifiés par le fluorimètre.
Schéma : Tiphaine Le Priol, Mémoire de Master Sciences de l’Environnement Industriel et Urbain, 2009.

D’autres types de biocapteurs à cellules algales sont basés sur le suivi d’autres signaux biologiques (autres activités enzymatiques, photosynthèse, production d’oxygène…). Ils permettent la détection d’autres familles de polluants (métaux, hydrocarbures…).

Sur quels types de polluants travaillez-vous ?

Nous travaillons sur différentes familles de polluants : les métaux lourds, les hydrocarbures et les pesticides, principales molécules nocives retrouvées dans les lagunes et d’autres milieux aquatiques. Concernant l’étude sur les pesticides nous travaillons notamment sur des molécules modèles telles que le diuron (appartenant à la famille des urées substituées) et le glyphosate, toutes deux entrant dans la composition des herbicides ; ces deux contaminants sont largement présents dans les écosystèmes aquatiques.

Quel est le principe de détection de ces polluants ?

Il existe différents principes de détection. Pour ce qui est de la détection des pesticides, le principe repose sur la mesure de l’activité estérase : les algues sont déposées sur la partie sensible d’une électrode conductimétrique. Les mobilités de charges générées par l’activité enzymatique sont enregistrées. Ce sont des variations locales de conductance qui sont alors mesurées et qui traduisent l’activité des estérases. Les résultats sont exprimés en pourcentage d’activité résiduelle. Ils expriment la proportion d’activité obtenue sur des algues exposées au flux polluant rapportée à des algues témoins traitées dans les conditions de l’essai. Une valeur inférieure à 100 indique une inhibition d’activité estérase alors qu’une valeur supérieure à 100 signifie une induction d’activité estérase. Notons que les deux cas de figure peuvent se rencontrer dans le cas d’une pollution aux pesticides.

Quels sont les avantages des biocapteurs ?

Ces biocapteurs présentent un grand intérêt écologique : les algues sont à la base des chaînes trophiques, elles sont très sensibles à une grande variété de polluants qu’elles peuvent accumuler en grande quantité. Etant d’autre part ubiquistes de tous les milieux aquatiques, la réponse des capteurs à algues reflète assez bien les perturbations enregistrées au sein de l’écosystème. De plus, les biocapteurs permettent de détecter et de suivre in vivo et en temps réel la pollution du milieu à des niveaux de contamination très faible. Cela permet d’intervenir rapidement avant l’apparition d’effets irréversibles.

Le but de cette technologie est de contrôler en continu le taux de pollution du milieu considéré. Les effluents passent en continu dans le dispositif. Celui-ci est relié à un moniteur qui permet de suivre la qualité de l’eau en continu sur les enregistrements.

Ce dispositif n’est encore qu’à un stade de mise au point en laboratoire mais nous espérons pouvoir le proposer à moyenne échéance aux gestionnaires en charge de la surveillance des milieux aquatiques.

Quels sont les avantages des biocapteurs par rapport à d’autres capteurs de détection de contaminants (ex : l’échantillonneur POCIS (cf. article 2) pour les pesticides) ?

Un des avantages des biocapteurs par rapport au système POCIS est qu’ils permettent de mieux détecter les pics de polluants. S’il y a un gros pic de pollution pendant un temps très bref, le système POCIS est incapable de le voir, le système des biocapteurs algaux en garde une trace. De plus, le dispositif des microélectrodes peut être placé dans une faible hauteur d’eau contrairement au système POCIS.

Quelles sont selon vous les limites de cette technologie ?

Les biocapteurs ne permettent pas de doser la quantité de pesticides présente dans le milieu. C’est une détection qualitative qui informe sur la présence ou non des pesticides.

Deux algues utilisées pour la création des biocapteurs algaux

Par ailleurs, des problèmes de maintenance se poseront lorsque nous serons en mesure d’implanter ces microélectrodes sur le terrain. L’entretien des dispositifs nécessitera sûrement des interventions régulières sur le terrain à cause de l’encrassement des membranes. De plus ces activités étant irréversibles, il est nécessaire de changer les électrodes dès qu’une inhibition est enregistrée. 

Du fait de l’inhibition des enzymes, il faudrait donc trouver un système de régénération des membranes afin de limiter l’intervention des gestionnaires sur le terrain.

Enfin, il faudrait améliorer la spécificité de détection en cherchant des souches d’algues plus sensibles et des marqueurs plus spécifiques.

Pour l’instant, le dispositif de détection en continu est encore au stade de mise au point. Le système des microélectrodes algales basées sur la mesure d’activités enzymatiques membranaires a été breveté, mais sa commercialisation devra nécessairement se faire par l’accompagnement d’industriels. On pourrait alors imaginer une présentation en kit avec un système d’algues lyophilisées et des électrodes prêtes à l’emploi.


2. L'échantillonneur « POCIS » : un outil de suivi des lagunes à portée des gestionnaires

Interview de Nathalie Tapie, Post doctorante, ISM/LPTC UMR 5255 CNRS, Université de Bordeaux 1.

Le “POCIS”  (échantillonneur passif intégratif de pesticides)

Chaque “POCIS” contient 200 mg de phase solide adsorbante, exposée dans le milieu pendant une durée plus ou moins longue, qui va capter les composés présents dans l’eau.

Constitution de l'échantillonneur « POCIS » :

Cet échantillonneur se compose de matériaux respectueux de l'environnement : il est résistant, ne se dégrade pas et l'inox a été utilisé pour sa fabrication afin de ne pas contaminer les échantillons

Comment faire face à de nouveaux types de polluants dans les systèmes lagunaires quand les méthodes de détection classiques deviennent obsolètes ? Le Conseil Régional du bassin d'Arcachon a financé en 2006 le développement d'un nouvel outil, le « POCIS » (Polar Organic Chemical Integrative Sampler ou échantillonneur passif intégratif de pesticides) pour évaluer les risques de pollution de l'eau.

Les écosystèmes lagunaires sont les réceptacles finaux de nombreuses pollutions provenant notamment du bassin versant (agriculture, tourisme, rejet des eaux usées...). Avec le développement des activités humaines, nombre de nouveaux polluants ont été libérés dans l’environnement. Entre 1930 et 2000, la production mondiale de produits chimiques est passée d’un million de tonnes à quatre cent millions de tonnes. Des programmes de recherche scientifique visant à expliquer les causes réelles des cas de fermeture des zones ostréicoles (ex : projet ASCOBAR - Apports Scientifiques face à la problématique COnchylicole du Bassin d'ARcachon) ont vu le jour en réponse à l’application des réglementations en vigueur au niveau européen.

« Les méthodes classiques d'échantillonnages (ex : le bio-monitoring : analyse d'échantillons d'eau...) sont des techniques fortement dépendantes des conditions physico-chimiques du milieu. Elles permettent une représentativité ponctuelle de la pollution, les risques de contamination de l'échantillon à analyser sont élevés, ainsi que le coût », explique Nathalie Tapie. En revanche, le « POCIS » peut être utilisé sur différents milieux, station d'épuration, eau douce, eau marine... la seule contrainte est que l'outil doit toujours être immergé. « Il a récemment été utilisé par notre laboratoire en collaboration avec l'IFREMER sur de nombreuses lagunes ou masses d'eau côtières (20 masses d'eau en Méditerranée, 15 à la Réunion, 7 à Mayotte, un projet est en cours de redémarrage en Méditerranée) », précise Nathalie Tapie.

Sur le terrain, le « POCIS » accumule les polluants et capture une très large gamme de polluants, et peut suivre les pesticides à des concentrations très faibles de l'ordre du ng/l, pendant toute sa période d'exposition. Ses capacités d'échantillonner en continu permettent d'obtenir une “meilleure représentativité” des niveaux de contamination d'un milieu sur des temps donnés. Cet échantillonneur est actuellement un très bon outil qualitatif et semi-quantitatif en passe de devenir complètement quantitatif.

En laboratoire, cet outil s'associe à une technique analytique qui réduit les étapes et donc la possible contamination de l'échantillon. Le protocole d'extraction est maximisé et le plus large possible pour une récupération optimisée des pesticides sur les membranes du « POCIS ».

Articles de Marie Vanhautere et Emilie Battut, étudiantes en Master BGAE, Université des Sciences de Montpellier II.